Le texte ci-dessous a été librement traduit par mes soins de l'article de John C. Harris, patron et architecte en chef de Chesapeake Light Craft, paru sur son blog en avril 2020.

Plus de mille Doris 17 (Northeaster Dory sur le catalogue Chesapeake Light Craft) ont été construits depuis sa sortie en 2010. Ce succès est dû aux qualités intrinsèques de la forme du doris, du fait de son adaptation progressive à son utilisation de petite embarcation, tant pour des usages côtiers que pour la pêche à la morue autour des goélettes des Grands Bancs, durant le 19e siècle et le début du 20e.

Un doris se construit rapidement du fait de sa simplicité et du faible nombre de pièces à assembler, mais il offre une performance au-dessus de la moyenne. Plusieurs doris sont disponibles sur plan ou en kit, et le Doris 17 est rapidement sorti du lot pour devenir très populaire du fait de la facilité de montage de ce kit CLC, de sa capacité de charge et de son comportement sur l'eau.

John C. Harris continue "Nous avons constaté que beaucoup de nos clients choisissaient le Doris 17 comme bateau de croisière côtière (beach cruising) ou de raid, en solitaire ou à deux, alors que nous n'avions pas spécifiquement anticipé cette utilisation. Des versions plus ou moins modifiées du Doris 17 ont ainsi participé à l'Everglades Challenge et plusieurs se sont classés en Classe 4, dont un vainqueur en 2012 (photo ci-contre).

Cette utilisation tire parti des qualités du Doris 17 "standard", notamment sa rapidité à la voile ou à l'aviron, sa tenue de mer étonnante et sa légèreté , qui permet de le tirer au sec pour une pause ou pour la nuit, et beaucoup des Doris 17 utilisés ainsi ont été adaptés à cet usage par leur propriétaire.

Les modifications que nous avons vues peuvent se classer en 3 catégories:

1. Augmentation des réserves de flottabilité afin de faciliter le "resalage" en autonomie et création de rangements étanches pour le couchage et les vêtements ;

2. Modifications en vue de dormir à bord ;

3. Remplacement de la dérive sabre par une dérive pivotante.

1. Augmentation des réserves de flottabilité et création de rangements étanches

En standard, le Doris 17 est équipé de réserves de flottabilité sous forme de pains de mousse fixés sous les sièges, pour un total de 130 litres. Les tests que nous avons faits nous ont permis de vérifier que cela permet de "resaler", c'est à dire redresser puis écoper le Doris 17 suite à un chavirage. Nous sommes conscients que dans des conditions de mer difficiles, le volume de flottabilité limité peut contribuer à rendre ces opérations très délicates.

John C. Harris continue "J'avais déjà eu l'occasion d'étudier une augmentation des réserves de flottabilité par ajout de poches gonflables et/ou sacs étanches fixés au fond de la coque. Ces poches à air augmentent la stabilité de la coque remplie d'eau et réduisent le volume d'eau à évacuer après le redressement, facilitant ainsi la remise en route.

Cette solution est incontournable pour les petits bateaux ouverts, mais elle n'est ni très pratique ni très esthétique. L'alternative est de créer des compartiments étanches dans les aménagements. Les deux endroits évidents où placer des coffres étanches sont la proue et la poupe. Plutôt que de "fermer" les extrémités jusqu'en haut du bordage, John préfère arrêter le coffre en bas du carreau (la virure du haut du bordé), ce qui laisse la possibilité d'utiliser le dessus de ce coffre pour poser des objets comme des cordages, le bout des avirons, etc.

Du coup, le niveau des coffres convient aussi pour les sièges, qui se trouvent légèrement remontés. On peut donc créer un pontage continu sur toute la longueur de la coque, reliant les coffres étanches de l'avant et de l'arrière. Les parties du milieu de ce pontage constituent des bancs latéraux qui restent ouverts et couvrent les poches à air. On utilise le pontage comme siège et/ou rangement à l'air libre entre les deux coffres étanches.

On utilise toutes les pièces du kit standard, en ne modifiant que les cloisons et en remplaçant les sièges en bois massif par ce pontage constitué de plusieurs éléments découpés dans du contreplaqué de 9 mm. Les compartiments étanches avant et arrière ont un volume très modéré et l'essentiel de la flottabilité supplémentaire est apporté par les poches à air et/ou les sacs étanches rangés et fixés sous les sièges latéraux.

Si l'on est certain de naviguer en solitaire, on peut aussi ponter la partie avant du cockpit entre le mât et la dérive, ce qui augmente considérablement le volume étanche. Par contre, cela oblige à rendre le pied de mât étanche (en utilisant un tube PVC autour du mât avec une évacuation soit directe à la mer au pied du tube soit vers l'arrière par un autre tube PVC.

Notez que l'on a aussi remplacé la dérive sabre par une dérive pivotante, ainsi que de gouvernail qui se voit doté d'un petit safran pivotant. Le schéma ci-dessus montre que cet aménagement permet toujours d'installer la serre ajourée optionnelle.

Cependant, on s'aperçoit que dans un bateau léger comme le Doris 17, on ne peut pas utiliser les sièges latéraux par petit temps ou au vent arrière, et on se trouve sans cesse à chercher une possibilité de s'assoir sur l'axe de la coque. Il sera bon de prévoir une planche mobile que l'on peut placer en travers des deux bancs latéraux afin de s'assoir sur l'axe. La possibilité de déplacer la planche d'avant en arrière permet de placer le poids du barreur plus en avant pas petit temps ou très en arrière au portant dans la brise.

Les bancs latéraux ouverts sont un compromis de simplicité qui permet de garder limités le poids et le prix de cette transformation. Le schéma ci-dessous montre à gauche la situation dans le Doris 17 standard, au milieu la solution avec les bancs latéraux ouverts et à droite la solution adoptée pour le Doris 19, avec des coffres étanches latéraux en plus des coffres des extrémités. Cette dernière solution apporte un volume total de flottabilité énorme, nécessité par la présence possible d'un moteur en puits.

C'est aussi la solution appliquée sur tous les dériveurs de régate depuis 70 ans, alors pourquoi ne pas l'appliquer aussi au Doris 17 ? Quatre raisons nous ont fait renoncer à cette solution :

A. Le poids additionnel des bat-flancs, les parties verticales sous le bord des bancs latéraux : le Doris 19 a la même capacité de charge que le Doris 17, malgré le volume nettement plus important de sa coque, à cause notamment du différentiel de poids de ses aménagements.

B. Le prix : ajouter des pièces à un kit ajoute à son prix : regardez la différence de prix entre le kit du Doris 17 et celui du Doris 19.

C. L'ergonomie : fermer le dessous des sièges du Doris 17 par des bat-flancs limiterait considérablement la largeur disponible sur la sole pour les pieds, du fait de la relative faiblesse de la largeur à ce niveau. C'est un problème qui est moins sensible sur le Doris 19, plus grand et donc plus large au fond.

2. Dormir à bord

Lorsque l'on pratique la petite croisière côtière ou le raid, on a en général la possibilité de planter une petite tente sur le haut de l'estran. Il y a peu d'endroits où les côtes sont trop rocheuses ou inabordables pour le faire (on évite ce genre de parcours...) Cependant, il y a des endroits magnifiques où la réglementation et/ou la propriété privée peuvent rendre obligatoire la possibilité de dormir à bord de votre Doris 17.

Encore une fois, l'étroitesse de la sole interdit une solution au fond du bateau. De plus, celui-ci est toujours humide voire carrément trempé.
Du coup, nous emportons un rouleau ou un accordéon de planchettes reliées entre elles (les lames de frisette sont parfaites pour cet usage) que l'on déroule ou déplie sur les sièges latéraux afin de créer une surface plane sur la partie arrière du cockpit, comme on le voit ci-dessus.

Cette solution conviendra à une personne seule ou à un jeune couple très amoureux. Si vous n'entrez pas dans ces deux catégories, il faudra choisir un bateau plus large pour pouvoir dormir à bord.

J'ai moi-même réalisé cet aménagement sur un Goat Island Skiff, un peu plus large que le Doris 17. Tous les détails sont sur cette page.

3. Remplacer la dérive sabre par une dérive pivotante

Une dérive pivotante est un luxe nécessaire à bord d'un petit bateau de croisière côtière, car les plus intéressants endroits sont ceux où il y a le moins d'eau. Avec une dérive sabre, cela se traduit inévitablement par des arrêts brutaux et parfois de la casse quand cela se produit à grande vitesse. La dérive (ainsi que le safran) doit pouvoir s'effacer pour réduire instantanément le tirant d'eau à quelques centimètres.

John C. Harris continue "Les difficultés que j'ai eues à caser le puits pour la dérive pivotante m'ont rappelé pourquoi je l'avais exclue (et maintiens cette exclusion) pour la version standard du Doris 17.

Outre ces difficultés, le puits renchérit le coût du kit et oblige à remonter et déplacer vers l'arrière le banc central, ce qui n'améliore pas l'efficacité à la rame. Celle-ci reste acceptable et le compromis reste favorable pour ceux qui voudront faire des raids.

Autres solutions dans des bateaux similaires

Parmi les attraits du Doris 17, sa simplicité de construction et son faible coût, même modifié pour la croisière côtière, sont prépondérants. Nous avons quatre alternatives :

1. Le Skerry Raid a été dessiné sur la base du Skerry pour en faire un bateau de croisière côtière, en ajoutanti une dérive pivotante, de grands compartiments étanches et la possibilité théorique de dormir au fond de la coque, mais j'ai déjà dit plus haut ce que je pensais de mettre mon duvet dans l'eau des fonds d'un petit bateau...

2. En plus grand, CLC a sorti en 2018 le Guider, dessiné avec l'objectif de participer au raid Race to Alaska (R2AK), un raid longue distance très exigeant dans le froid et les dangers des côtes du Pacifique canadien. Ce bateau nettement plus grand, plus lourd et plus complexe se trouve à mon avis hors sujet ici.

3. Le Doris 19 (Southwester Dory dans le catalogue CLC). Le cahier des charges pour ce doris était de refaire en plus grand le Doris 17 afin de pouvoir loger une dérive pivotante, des réserves de flottabilité et un puits moteur optionnel. Il fallait bien sûr conserver l'élégance du Doris 17 et ses qualités sous voile et à l'aviron. John lui a ajouté un ajouté un artimon afin de conserver une grand-voile de petite surface tout en augmentant la "puissance" du gréement.

L'augmentation de taille (56 cm en longueur et 15 cm en largeur) et de complexité des aménagements augmente aussi le poids et surtout le prix du kit, qui coûte une fois et demie celui du Doris 17. Le résultat est que CLC vend 10 fois plus de kits du Doris 17 que de celui du 19. A ce propos, la modification du Doris 17 pour en faire une version « Raid » n'augmenterait pas son prix au niveau de celui du Doris 19, mais elle serait sensible.

4. J'ajoute à la liste de John le Goat Island Skiff de l'architecte australien Michael Storer, bien que très différent d'aspect et de performances (contrairement au Doris 17, il plane au portant), est très similaire en simplicité de construction et en faible coût. J'ai moi-même adapté le premier exemplaire que j'ai construit en ajoutant une dérive pivotante, des compartiments étanches et des poches à air, et l'ai configuré pour dormir à bord.

Notez pour terminer que la version "Raid" du Doris 17 telle que présentée ci-dessus n'existe pour l'instant que sur le papier et que le kit n'est pas encore disponible. Si vous êtes intéressé passez moi un mail que je remonterai auprès de CLC.